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AMENDE !

De prestigieux châteaux du Médoc et de Saint-Émilion voient leur générosité au bénéfice de leurs salariés se retourner contre eux. La Mutualité Sociale Agricole de Gironde vient d’obtenir la validation de deux redressements par le tribunal de Bordeaux pour non-déclaration de cadeaux de fin d’année. Certains Châteaux du Médoc et de Saint-Emilion taxés à cause de leur générosité.

Dans le vignoble, qui n’a jamais envié les salariés recevant en fin d’année une caisse du grand cru classé pour lequel ils travaillent ? Ancrée dans l’esprit de noël, cette générosité permet aux employés d’une propriété prestigieuse de déguster des flacons qu’ils ne pourraient pas s’offrir. Allant de soi dans de nombreuses propriétés, cet usage est désormais mis sur la sellette administrative, risquant fort de se tarir au vu des contraintes financières imposées.
D’après les informations recoupées par Vitisphere, la caisse de la Mutualité Sociale Agricole de la Gironde (MSA 33) redresse depuis des années de prestigieuses propriétés pour ne pas avoir déclaré ces cadeaux de bouteilles en tant qu’avantages en nature. Les appels à la commission de recours amiable de la MSA 33 n’ayant pas abouti, ces dossiers doivent être tranchés par les chambres sociales du Tribunal Judiciaire de Bordeaux.

Redressements confirmés

Si l’on excepte le cas du château Pontet-Canet étudié en 2017 (voir encadré), les magistrats bordelais viennent de rendre leurs premiers jugements en la matière. Ce 13 novembre 2020, le Pôle Social du Tribunal Judiciaire de Bordeaux confirme ainsi les redressements de la MSA 33 pour non-cotisation sur des bouteilles de vin offertes à leurs employés par les châteaux Léoville Poyferré (deuxième cru classé de Saint-Julien en 1855) et Troplong Mondot (premier grand cru classé de Saint-Émilion). Soit des rappels de cotisation respectivement de 66 000 € (sur la base du prix en primeur) et 8 000 € (sur la base du prix relevé sur internet).« L'usage en lui-même n'est pas condamné, le désaccord avec la MSA portant sur le mode d'évaluation de cet avantage en nature qui est soumis à cotisations sociales » explique un juge du pôle social à Vitisphere. En effet, lors des plaidoiries du 15 septembre dernier, les avocats des propriétés refusant leurs redressements ont demandé « d’annuler le chef de redressement relatif à la fourniture de vin, ou à titre subsidiaire à limiter le montant du chef de redressement relatif à la fourniture en vin sur la base d’une assiette calculée sur la base du prix de production, ou à titre infiniment subsidiaire sur la base du prix primeur abattu de 30 % ».

"Avantages en nature"

Pour les crus classés redressés, l’enjeu de la valorisation des bouteilles offertes est crucial : si le coût de production était pris en référence, ces dons n’excéderaient souvent pas la limite de 5 % du plafond mensuel de la sécurité sociale qui permet d’exonérer ces cadeaux (« en vertu de la circulaire ministérielle du 12 décembre 1988 et des circulaires ACOSS 64 du 3 décembre 1996, 99-38 du 19 février 2000 et 24 du 21 mars 2011 »). Pour défendre une évaluation du prix des cadeaux de vin selon leur coût de production et non de vente (en primeur ou en ligne), les domaines redressés s’appuient sur l’article 44-3 de la convention collective des exploitants de Gironde, (qui indique qu’en dehors des avantages en nourriture et logement, c’est le coût de production qui doit être pris en compte).
Tout cet argumentaire ne convainc pas les magistrats de la chambre sociale, qui jugent que « ces dispositions ne peuvent inclure le cas des avantages offerts à l’occasion d’un évènement particulier et, à plus forte raison, un avantage en alcool dès lors qu’en vertu de l’article R.3231-16 du code du travail, une convention ou un accord collectif ne peut comporter des clauses prévoyant l’attribution, au titre d’avantage en nature, de boissons alcoolisées aux travailleurs ». Pour les juristes, se pose toujours la question de la valorisation changeante des vins selon les contrôles. « La MSA avait retenu la valeur du prix public proposé par chaque société au cours du contrôle, dans l'un des cas "prix primeur" et dans l'autre cas "prix de vente internet", ce que le tribunal a entériné » indique une source judiciaire, ajoutant qu’« il semble que la MSA accepte le critère proposé par la société concernée pour le calcul des cotisations sociales dues, dans la mesure où il est démontré qu'il s'agit d'un prix "public" et pas d'un prix de revient. »

Fin des cadeaux

Alors que d’autres dossiers sont en instruction, ces deux premières confirmations de sanctions poussent déjà des crus classés à couper net les dotations en vin. « Nous sommes prêts à payer les charges sur le coût de revient, voire un prix de vente en primeur réduit, des cadeaux de fin d’année, mais la MSA 33 veut les rentrer comme avantages en nature dans l’assiette de cotisation avec la valorisation du prix de vente livrable sur le marché » indique, sous couvert d’anonymat, une propriétaire médocaine, qui ne donne désormais plus de vins à ses employés, qui doivent payer plein pot.

"Ce sont ceux qui donnent le plus qui sont le plus retoqués"

« Pour une fois que les employeurs étaient généreux avec les salariés agricoles et vendangeurs saisonniers, ce sont les propriétés qui donnent le plus qui sont le plus retoqués » regrette Corinne Lantheaume, la secrétaire générale du SGA33 CFDT. « L’usage était historique et n’a jamais été déclaré hors sorties des stocks. C’était un cadeau des entreprises aux salariés et personne ne se posait la question. Les salariés étaient heureux de pouvoir goûter le fruit de leur travail qu’ils ne peuvent s’acheter » souligne la syndicaliste, qui reconnaît qu’avec le développement d’internet, certains se sont mis à vendre en ligne les cuvées dont les prix montaient vertigineusement (« certains pouvaient se faire un très gros mois en vendant leurs bouteilles »).
Ces dérives individuelles auraient interpellé la MSA, diligentant contrôles et redressements ces dernières années. « C’est clairement un avantage en nature » souligne Corinne Lantheaume, qui précise que les métiers viticoles pourraient bénéficier d’un droit d’usage, comme d’autres professions : les billets de train offerts pour les employés de la SNCF ou l’électricité à bas prix pour les salariés d’EDF... « Certaines professions ont des avantages, on ne peut que regretter que la MSA n’ait pas alerté sur le sujet et préfère sanctionner les grands comptes. Ce n’est pas le visage humain de prévention habituel » soupire Corinne Lantheaume.

En conformité

Refusant de commenter des affaires judiciaires, la MSA 33 indique à Vitisphere ne pas avoir de conseils à donner à ses cotisants pour qu’ils se mettent en conformité et ne risquent pas de redressement. Sollicitée, la Caisse Centrale de la MSA indique cependant « quelques éléments d’information concernant les bonnes pratiques à adopter pour être en conformité avec la réglementation en vigueur ». Les voici en intégralité :« par principe, l’ensemble des éléments de rémunération, en espèces (salaires) ou en nature, qui sont octroyés par un employeur à son personnel salarié en contrepartie ou à l'occasion du travail est appelé à être intégré dans l’assiette des cotisations et contributions sociales. Les avantages en nature correspondent à des mises à disposition de biens ou services par l’employeur (à titre gratuit ou moyennant une participation financière du salarié inférieure à leur valeur réelle du bien ou service considéré). Ils doivent apparaître en paye et être déclarés par l’employeur auprès de la MSA, en vue d’alimenter les droits sociaux des salariés. En fonction des usages en vigueur dans certaines professions, ces avantages en nature viennent en complément de façon plus ou moins systématique des éléments de salaire en espèces. »

"Une modification de la réglementation est nécessaire"

Face à cette grille de lecture, « le risque est fort que l’on abandonne l’usage » confie un propriétaire médocain, effrayé par les risques de contrôles et les incertitudes juridiques en découlant. Ce que confirme l’avocat de Pontet Canet : « une modification de la réglementation est nécessaire, sinon je crains que la tradition d’offrir des vins à ses salariés ne soit remise en cause ».« L’enjeu serait de trouver une solution intelligente permettant de satisfaire les administrations fiscales et sociales, ainsi que les propriétés et leurs salariés pour maintenir cet usage ancien » confirme maître Alexis Degagny, associé au cabinet BDA (Bordeaux). L’avocat fiscaliste soulignant également que ce débat ne concerne pas que les châteaux, mais aussi les employés : « en cas de taxation, l’employeur fait figurer l’avantage sur la fiche de paie et le salarié sur sa déclaration d’impôts ». Si un risque de redressement fiscal existe, aucun cas n’a été signalé à date.

 

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